Gilles Lipovetsky, L'ère du vide : Essais sur l'individualisme contemporain
«Tout notre environnement urbain et technologique (parking souterrain, galeries marchandes, autoroutes, gratte-ciel, disparition des places publiques dans les villes, jets, voitures, etc.) est agencé pour accélérer la circulation des individus, entraver la fixité et donc pulvériser la socialité : «L'espace public est devenu un dérivé du mouvement», nos paysages «décapés par la vitesse », dit bien Virilio, perdent leur consistance ou indice de réalité. Circulation, information, illumination travaillent à une même anémisation du réel qui à son tour renforce l'investissement narcissique : une fois le réal inhabitable, reste le repli sur soi, le refuge autarcique qu'illustre bien la nouvelle vogue des décibels, «casques» et concerts pop. Neutraliser le monde par la puissance sonore, se renfermer sur soi, se défoncer et sentir son corps aux rythmes amplis, désormais les bruits et les voix de la vie sont devenus des parasites, il faut s'identifier avec la musique et oublier l'extériorité du réal. Déjà on peut voir ceci : des adeptes du jogging et du ski pratiquer leurs sports, écouteurs stéréo directement sur le tympan [...] » p.107-108